Sabrina Gruss hante notre monde de ses créatures d’un autre univers. C’est une danse avec la mort, un jeu de Vanités qui sème un sourire tendre et ironique, un ballet de coquets squelettes parés pour l’ultime fête. Glaneuse du néant, elle extirpe des landes, des lieux abandonnés et des fourrés racines, crânes d’oiseaux, coquilles vides, os sans sépulcre, dans le secret de son atelier elle se livre à de surprenantes résurrections : rat à tête humaine en tutu constellé de crânes minuscules, un compère à longue queue surgit d’une boîte où gisent, abandonnés peut-être, des poupons ; royale, éternelle Parque, Méduzine dévoile ses charmes sulfureux la tête enrubannée d’un serpent, un rabbin entre en scène, rescapé des tréfonds de son grenier hanté. Personnages décharnés, parés des vestiges chagrins d’une autre vie, ils bringuebalent leurs os et « presque tous ont quitté la chemise de peau… » tels les Pendus de Rimbaud.
Mais ils retrouvent un ailleurs : êtres d’écorce ou de fibres extirpés de la terre ensevelissante, ils proclament haut et fort leur vie retrouvée, fût-elle accompagnée d’animaux ambigus toujours, maléfiques selon, comme rats et serpents… Thaumaturge pudique, Sabrina Gruss nous ramène avec un humour grinçant à un dialogue avec un monde des ténèbres qu’elle charme pour ne pas se laisser envoûter, et n’en finit pas d’exorciser cet autre côté du miroir où se cachent nos peurs, où naissent nos mauvais rêves, où les prémices de notre histoire plongent leurs racines. Sans doute le plus vieux jouet de l’histoire on en a retrouvé dans les tombeaux de l’Egypte antique, la poupée, de confidente en objet rituel n’en finit pas de recueillir, profanes ou sacrés, parfois même maléfiques, bien des secrets inavoués. « Bénie soit la providence qui a donné à chacun un joujou : la poupée à l’enfant, l’enfant à la femme, la femme à l’homme, et l’homme au diable » conclut Victor Hugo.
Florent Founès